Le Carnaval de Binche en Belgique qui se déroule les Dimanche, Lundi et Mardi Gras bat son plein ces jours-ci….

C’est l’un des plus célèbres carnavals d’Europe, il existe depuis le XVIII ème siècle et est inscrit depuis 12 ans au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Une amie journaliste, Anne Frintz était à Binche l’an passé et a rédigé cet article décrivant ce carnaval si particulier. Alors, en route pour Binche à la découverte des Gilles.

 

PROGRAMME DES 11,12 et 13 février 2018

affiche du Carnaval de Binche 2018

DIMANCHE GRAS

  • Dès 9 heures : Travestis, violes et tambours animent la ville.
  • Dès 15 heures : Place Eugène Derbaix – Départ du cortège carnavalesque.

LUNDI GRAS

  • Dès 10 heures : Sortie des jeunesses à la viole.
  • Dès 16 heures : Grand-Place – Rondeau de l’amitié.

Dès 19 heures : Place Eugène Derbaix – Feu d’artifice.

MARDI GRAS

  • Dès l’aube : Gilles, Paysans, Pierrots et Arlequins animent la ville.
  • Dès 8 heures 30 : Port du masque de cire et réception à l’Hôtel de Ville.
  • Dès 15 heures : Cortège et rondeau sur la Grand-Place.
  • Dès 19 h 30 : Cortège aux Lumières et rondeau.
  • Dès 21 heures 30 : Embrasement de la Grand-Place

 

RECIT DE ANNE FRINTZ

Le Carnaval de Binche se déroule sur trois jours, avec en point culminant de ces folles journées, le Mardi-Gras et son cortège regroupant toutes les sociétés de Gilles de la ville, les Paysans, les Arlequins et les Pierrots, qui distribuent des oranges aux spectateurs. Lancés musclés en perspective !

Pour les dix ans de l’inscription du Carnaval de Binche au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité, on y était.

Petit récit de cette excitante journée.

au loin, une mer de plumes
au loin, une mer de plumes

Cinq minutes avant le départ du défilé de 15 heures, le ciel se dégage enfin, la pluie s’arrête. Magie, magie ! Emilie, ma copine wallonne, qui chantonne depuis bientôt un quart d’heure est ravie. L’incantation a fait son effet. Faut dire qu’on s’y est mis à quatre. On rit et s’extasie sous un arc-en-ciel bien mérité. On est surexcité. Les Gilles vont revêtir leurs plus beaux atours, ceux qu’ils ne sortent pas en cas d’averse : leurs impressionnants, grands et lourds chapeaux en plumes d’autruches.

Et l’avalanche d’oranges sanguines, de petites oranges rougeâtres, va commencer.

 Devant nous, la police montée ouvre le cortège.

Les chevaux piaffent d’impatience sous les yeux d’une foule immense.

Derrière eux, les policiers à pieds… et au loin une marée de plumes blanches ! Youpi, ils ont sorti leurs fameux chapeaux !!! Et déjà on voit dans le ciel pas vraiment bleu des points noirs qui fendent les airs. Ouhlala, ça va voler ! Les cuivres et les tambours reprennent le rythme des sabots des chevaux, le public pris dans cette transe piétine sur place, et imite instinctivement la danse des Gilles, qui arrivent en trottinant. On est là, pris dans une grande communion, le jour de l’année le plus important pour cette ville wallonne pas vraiment gâtée par la situation socio-économique globale. Le soir même, on entendra un Binchois dire à la radio : « On est ensemble, toutes classes sociales confondues. Ca resserre les liens ».

Ce Carnaval si particulier, non pas à cause des Gilles, présents dans toute la Wallonie, mais par ses codes dûment respectés, ses traditions qui se perpétuent, – comme l’interdiction faite à ses membres, tous de la ville de Binche, de se déplacer hors de la commune, par exemple -, crée un sentiment d’appartenance fort, une communauté soudée, et est élevé au rang de réel rituel.

masque du Gille de BincheChaque année du Dimanche-Gras au Mardi-Gras, les mêmes gestes, les mêmes cycles se répètent, pour les sociétés costumées comme pour les habitants de Binche et leurs invités. Les rondeaux, par exemple, sur la Grand-place de la ville lorsque Gilles et Paysans se parent de leurs masques de cire et toile tous identiques (décorés de lunettes vertes), ode à l’égalité entre les hommes, rassemblent tous les Binchois.

Ce matin du Mardi-Gras, les Gilles se sont levés tôt, à 4 heures du matin, pour déjeuner aux huîtres et au champagne. Chacun avec sa société et ses musiciens, qui sont passés le chercher à domicile.

Il faut être homme… mais les femmes ne sont jamais bien loin pour r-habiller et « re-chapeauter » leurs Gilles.

« Ils arrivent ! », « préparez-vous ! ». Devant nous, cuivres et tambours donnent la cadence. Et les premiers à nous gratifier d’oranges sont… les petits Gilles. De tout petits enfants déguisés déjà comme leurs aînés. Et ils mettent du cœur à l’ouvrage ! Avec eux, ça vole bas. Emilie en prend une en pleine face. Ouh, le bruit mat fait rire tous nos voisins. Ses lunettes l’ont échappé belle. Lorsqu’une orange arrive droit sur vous, deux solutions : l’attraper ou se baisser. C’est presque impossible d’esquiver tant nous sommes serrés. A chaque salve des mômes, un mur de mains se lève. Elles seules sont mobiles, le bas de nos corps ne bouge pas.

Nous sommes prêts à réceptionner les costumés plus âgés, échauffés… mais les grands chapeaux de plumes s’agitent toujours au loin… Mais qui y’a-t-il au milieu du cortège ?

Carnaval de Binche, les PierrotsDes chapeaux pointus… des couleurs pastel, quelques rubans… ce sont les Pierrots ! Des enfants de l’école primaire. Puis arrivent leurs camarades d’une autre école de la ville, les Arlequins, chapeaux verts et queues de raton laveur. Tous armés d’oranges. Les jets redoublent.

Mais le pire arrive… les Paysans, de jeunes futurs Gilles, aux chemises bleues, pantalon blanc et rubans blancs sur chaussures lacées. Les adolescents et jeunes adultes se défoulent… et visent bougrement bien. Un habitant qui vient de retirer la protection mise à sa fenêtre en fait les frais ! Le carreau supérieur vole en éclat. Il a ramassé. Son appartement doit avoir fait la récolte de fruits. « Quand j’étais petit, j’étais traumatisé », se souvient un trentenaire. « Je croyais que c’était la guerre civile ! », s’exclame-t-il, revivant la scène. « Il y avait des éclats de verre partout ! Tout éclatait », revoit-il. « J’avais peur, c’était beaucoup plus violent qu’aujourd’hui », conclut l’homme de la région. En Carnaval de Binche, les Arlequinseffet, sous le coup de nombreux procès, la municipalité et les sociétés binchoises ont décliné toute responsabilité sur les casses, renvoyant les plaignants aux participants eux-mêmes. De quoi calmer les esprits des Paysans et Gilles… et distribuer parfois bien tranquillement les oranges, du panier aux mains des badauds.

Mais les Binchois sont aujourd’hui bien préparés. Sur le trajet du cortège, chaque fenêtre, chaque vitrine est protégée de cadres grillagés. Il faut vraiment le chercher pour se faire éclater la devanture.

Les personnes qui nous entourent, cette foule à l’unisson, sont très peu déguisées. Mais elles arborent presque toutes un brin de Mimosa, vendu partout dans les rues et… des lunettes, des perruques et des chapeaux.

Carnaval de Binche, les paysansC’est le Carnaval des couvre-chefs ! A paillettes, de cowboy, fluos, les chapeaux se déclinent même en chope de bière (ah, la Belgique !) et en couronne de roi pour un fils et son père. Plus qu’un accessoire ici, et si le couvre-chef était un costume, LE costume ? Une grande dame est tout de même déguisée, elle, en poussin géant, tandis qu’un T-Rex de quatre ans côtoie un lapin blanc de quelques mois à peine.

Et justement ceux qui détiennent les plus grands, les plus beaux chapeaux ne sont plus qu’à quelques mètres de nous. « Gilles, gilles ! ». « Ici, ici ! ». Les mains se tendent vers la rue. Un Gilles tout sourire m’envoie une orange, tout doucement, en cloche, rien qu’à moi. « Et le sourire en prime ! », s’esclaffe Claire, ma copine française.

Groupe de Gilles au Carnaval de BincheLes Gilles sont majestueux. Avec leurs sabots et leurs chapeaux en plumes d’autruches, ils gagnent facilement un mètre cinquante de haut, et avec leur ventre en tonneau, – la blouse est bourré de paille -, ils se dressent tels des géants.

Leur blouse, parée d’un grelot, et leur pantalon en jute sont ornés de 150 motifs (étoiles, lions et couronnes) en feutrine noire, jaune et rouge. A la taille, le Gille porte une ceinture de laine rouge et jaune, montée sur de la toile, appelée « apertintaille » et composée de clochettes de cuivre. Une collerette (ou pèlerine), constituée de rubans plissés, de dentelles ou de franges dorées s’attache autour du cou par-dessus les bosses. Sur la tête, une « barrette » (bonnet de coton blanc) et un mouchoir de cou (carré plié de coton placé sous le cou et noué sur la tête pour maintenir la barrette) viennent recouvrir l’ensemble des cheveux. Le Gille ne possède pas le costume ni le chapeau. Il les loue chez le louageur, lequel est spécialisé dans la confection et la location du chapeau et du costume. A Binche, on en compte trois, tous issus de la même famille. (Source : site officiel du Carnaval de Binche).

Gilles de Binche
Gilles de Binche

Nous n’en perdons pas une miette… et je caresse même les plumes légèrement teintées à leur extrémité d’un Gille qui passe à ma hauteur dans une rue en goulot où nous sommes… coincés, alors que nous essayons de quitter la ville à la fin du cortège.

Les Gilles et les autres sociétés danseront encore jusqu’avant le petit matin du Mercredi des Cendres.

On ne sait pas exactement de quand date ce Carnaval ni quelles sont les significations des costumes… beaucoup de légendes circulent, je vous laisse les découvrir. Les sources les plus anciennes mentionnant le Carnaval de Binche datent de la fin du XVIIIe siècle.

Si vous voulez savourer ce Carnaval unique au monde et aujourd’hui très bon enfant, rendez-vous à Binche, le jour du Mardi-Gras… où les plus importants politiques de Belgique se laissent interpeller volontiers, comme Elio Di Ruppo, le Premier Ministre belge nommé en 2011.

Texte de Anne Frintz