Il y a bientôt 30 ans, j’ai rêvé pour ma ville Strasbourg d’un carnaval que tout le monde aurait aimé….

Certains rêves un peu fous surgissent un matin d’été, au lever. Ils trottent et trottinent dans la tête sans qu’on puisse s’en débarrasser…. Certes, il est plus facile de rêver un Carnaval dans une petite ville que dans une grande. Mon rêve était grand et comme le disait Oscar Wilde, il faut avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue quand on les poursuit.

L’idée d’un carnaval

Pour moi, Carnaval est avant tout une idée de fête, de liesse , d’un lâcher prise collectif, un moment hors du temps. Entre l’enfermement de l’hiver et le renouveau du printemps, c’est le relâchement. Dernière le masque ou le costume chacun laisse un instant tomber le masque des convenances. C’est un moment de satyre, de transgression, d’inversion. Le temps d’un certain nivèlement aussi, d’égalité. Derrière le masque on se sait plus qui est qui ; et ne dit-on pas que ce qui se passe à carnaval, reste à carnaval….

Je rêvais d’un Carnaval où sur une simple photo on aurait pu dire “ça, c’est le Carnaval de Strasbourg”. Tout comme on reconnaît le Carnaval de Rio, celui de Venise,de Dunkerque, de Nice, de Binche ou de Bâle…. D’un carnaval métissé aussi, qui soit celui de tous, juste pour le plaisir d’être ensemble. Le rêve d’un carnaval qui ne se regarde pas mais qui se fait, qui se vit et qui crée des souvenirs communs…

Carnaval de Strasbourg, le rêve d’un été

M’inspirant d’autres carnavals, mais aussi de grandes messes populaires que sont les réunions sportives, je l’ai imaginé, le temps d’un été. En tirant l’aiguille qui laisse, pendant que les mains travaillent, le temps de voyager dans des mondes merveilleux…. Les traditions carnavalesques à Strasbourg se sont successivement endormies sans laisser de grands souvenirs ni de grands manques. Il y a eu le Carnaval Rhénan proposé par les Allemands après la guerre de 1870, le Bim Bam initié par les commerçants du centre ville de 57 à 60, le carnaval de Wackes  de 73 à 78). Tout pouvait être inventé pour se glisser entre les autres carnavals du monde et lui donner une identité.

J’ai partagé mes idées autour de moi… Alors on a été deux, puis trois, puis plus… On a monté un dossier et les plus éloquentes ont démarché la mairie…. qui s’est trouvée intéressée…

C’est là que j’ai appris que le Carnaval était une histoire d’argent, de politique, de pouvoir, de pouvoirs petits et grands… Qu’il fallait jouer des coudes, d’influence, quitte à en écraser quelques uns au passage… Qu’il avait fallu pousser, piétiner, assommer à coups de réunions,  de bonnes ou mauvais intentions à peines déguisées… Là, pour moi, le Carnaval a commencé  à perdre son âme avant d’avoir pu la découvrir.  Je l’ai regretté pour ceux qui y avaient cru et qui ont offert leur temps pour l’embellir et lui permettre d’exister : les bénévoles.

Au fond de ma cour, des souvenirs

Je me suis fait discrète au fond de mon atelier…. Je me suis contentée alors de fabriquer des costumes jaunes et rouges la première année. 2000 m de tissu coupé et cousu tout de même. Il y a eu les bleus et jaunes la seconde année et les verts et jaunes la troisième….. chaque année un peu moins…. Et puis je suis passée à autre chose, parce que faire des costumes juste pour faire des costumes, cela n’a pas de sens. Du moins pour moi…. Il m’arrive de voir encore l’un ou l’autre de ces costumes sur le journal…

Il y en a peu qui le savent, mais l’Atelier que j’occupe au fond de la cour du 32 Faubourg de Pierre depuis 2002 a été avant mon arrivée le bureau du Carnaval de Strasbourg. Il a ensuite pris ses quartier au Fort Kléber de Wolfisheim. Je me prends parfois à m’y souvenir de quelques réunions, quand on y croyait encore…. et certains soirs d’y croiser quelques fantômes, ceux des illusions perdues. Il m’arrive d’ouvrir le dossier que nous avions fait pour présenter à la mairie et je me dis encore que l’idée était belle…

Article rue 89 sur le Carnaval de Strasbourg

Un carnaval qui se cherche toujours

Peu à peu, le Carnaval de Strasbourg a changé de visage… Il essaye de se réinventer. Saura-t-il prendre ses marques et se créer une âme ?…. Pour moi le Carnaval est un cri qui vient de l’intérieur…. comme une évidence, une nécessité…. S’il reste juste un défilé que l’on va voir, une animation gratuite de plus, que l’on consomme entre le repas et le goûter, quel sens a-t-il ? Manquera-t-il s’il s’arrête, ou se dira t-on juste, tiens, il n’y a pas de carnaval cette année…. On ira à celui de Colmar, Schiltigheim ou Sélestat….. ou mieux, à Mannheim, Stuttgart ou Bâle….

Ce week-end, jour du Carnaval de Strasbourg, je serai au Carnaval Vénitien de Longwy qui fête ses dix ans….

 

Le Carnaval de Longwy, une belle aventure

Déjà douze ans !!!

J’ai été appelée en catastrophe il y a dix ans pour “sauver” un carnaval qui démarrait mal…. Le Carnaval de Longwy. Une idée, une envie ne suffisent pas quand il y a un mauvais timing, une méconnaissance du milieu et du domaine…. Mauvais choix de date pour un certain nombre de bonnes raisons. Mauvaise image aussi d’une petite ville de Lorraine plus connue pour la crise de la sidérurgie de la fin des années 80. Qui connait les émaux portant son nom et ses fortifications Vauban pourtant classées au patrimoine de l’humanité…. Les clichés ont la vie longue….

État des lieux, seuls 30 costumés étaient inscrits au Carnaval qui devait se passer un mois et demi plus tard…. L’idée du service de l’animation a alors été de costumer des habitants de Longwy, en leur apprenant en même tant les codes du Carnaval Vénitien… Ils cherchaient simplement quelqu’un pouvant leur fournir 50 costumes vénitiens et leur donner quelques conseils au passage…. Internet aidant…

Pour être franche, je n’avais pas 50 costumes vénitiens en location. Moins d’une dizaine, ceux que j’avais fabriqué pour aller moi-même au Carnaval de Venise. Comme d’habitude, j’aime les idées folles et besogneuses…. Composer des costumes de carnaval vénitiens en utilisant des pièces existantes dans mon stock, rajouter, fabriquer…. Mais il y avait dans cette idée même de sauver un Carnaval une jouissance pas forcément compatible avec ce que devrait être une entreprise à but lucratif….

L’enthousiasme d’une première édition

Je me souviens du premier Carnaval de Longwy, de l’enthousiasme des bénévoles connus ou non. Certains étaient liés à la Mairie. Je revois la joie lisible dans leurs yeux quand, frigorifiés, tombant le masque pour rendre les costumes, ils parlaient déjà du Carnaval de l’an prochain… Pourtant, on ne peut pas dire que ce fut un grand Carnaval. Sur une place pouvant accueillir 6000 personnes, deux trois centaines au plus avaient bravé la bise glaciale qui s’était imposée sans qu’on l’y eu invitée.

Année après année le Carnaval de Longwy a pris ses marques, son identité. Il a pris racine dans son immigration italienne et son passé historique…. avec une forte implication de la municipalité. Année après année, nous l’avons vu grandir… Certains bénévoles viennent toujours louer un costume.  D’autres, de plus en plus nombreux passent nous dire bonjour pour nous montrer le costume qu’ils se sont fabriqués… Le nombre de spectateurs augmente chaque année.  Ils viennent même de Belgique et du Luxembourg.

Une association, la Longovénitienne est née, œuvrant toute l’année. Les bénévoles se retrouvent pour lfabriquer les costumes de l’année suivante. Ils se rencontrent pour des sorties costumées dans d’autres carnavals ou dans des maisons de retraite.

Un carnaval qui a pris ses lettres de noblesse

affiche carnaval venitien de Longwy 2018En 2017, le Carnaval de Longwy a attiré 13000 spectateurs devenant en affluence la plus grosse manifestation de la ville…. en 2014, au changement de municipalité, le nouveau Maire avait voulu arrêter le Carnaval qui avait été initié par la municipalité sortante…. Tout n’a pas été rose dans les luttes inévitables, mais le Carnaval est sorti victorieux. Pour fêter ses dix ans, le maire a même annoncé des animations supplémentaires…. Le Carnaval Longovénitien redonne de la couleur et du prestige tant à l’extérieur que dans le cœur de ses habitants.

On a de moins en moins besoin de mes services et je deviens une commerçante comme les autres sur le marché vénitien. Et c’est très bien ainsi…. Mais quel plaisir de voir la place Darche noire de monde, de voir qu’enfin le Carnaval de Longwy s’inscrit parmi les plus importants carnavals vénitiens de France et qu’il a su, en cultivant sa spécificité y trouver son âme….

Et moi je guette d’autres aventures….

Mais il faut le veiller avec attention, un carnaval, c’est si fragile, cela tient à tellement d’équilibres….